L’audiovisuel et le « marché unique numérique >> Quelles stratégies de l’Union Européenne ? – 23 février 2017

Conférence présidée par: Ignasi Guardans, Avocat associé de K&L Gates à Bruxelles, ancien Membre du Parlement Européen (Commission Culture; ancien corapporteur Directive Services de Médias Audiovisuels et autres textes y afférents); Ancien Directeur Général du Cinéma et de lAudiovisuel en Espagne

Avec la participation de

Alexandra Lebret, Directrice Générale, The European Producers Club Anthony Level, Directeur des Affaires Règlementaires Numériques, Digital Chief Policy Officer, TF1 

Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture et de la Communication 

Pascal Rogard, Directeur Général, SACD Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint, Groupe Canal+

Différents textes sont en cours de discussion au niveau de lUnion européenne. Chaque mesure a été initiée de manière isolée, mais toutes font partie de la stratégie pour un marché unique numérique dévoilée en mai 2015 par la Commission 

européenne. Cette stratégie vise à garantir dans lenvironnement numérique la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux dans l‘UE 

Les trois piliers de la stratégie pour un marché unique numérique

La stratégie pour un marché unique numérique repose sur trois domaines daction

Améliorer laccès aux biens et services numériques dans toute lUE pour les consommateurs et les entreprises

Créer un cadre propice au développement des réseaux et services numériques; Maximiser le potentiel de croissance de léconomie numérique

Ces objectifs politiques se sont traduits par plusieurs propositions législatives de la Commission. Les textes étant examinés séparément, le risque de contradiction nest pas exclu. Il y a par ailleurs une forme de tension entre ces propositions assez maximalistes et la réalité économique du marché unique numérique. Cette conférence est donc loccasion de dresser un panorama des nombreuses réformes en cours (réforme de la Directive « Services de médias audiovisuels >> réforme du droit dauteur, territorialité et portabilité des droits, etc.) puis de débattre avec plusieurs intervenants, acteurs clés du secteur de laudiovisuel, des impacts règlementaires et pratiques de ces réformes

La révision de la directive « Services de médias audiovisuels» (SMA

Le projet de mise à jour de la directive SMA a été présenté le 25 mai dernier. 4 commissions lont examiné et donné leur avis sur le texte (JURI IMCOLIBE ENVI). La Commission de fond (Culture) doit adopter le texte prochainement

Les évolutions proposées ont pour objectif détendre aux nouvelles plateformes de partage de vidéos, telles que YouTube ou Dailymotion, un certain nombre dobligations ayant trait à la lutte contre les contenus violents et les messages dincitation à la haine raciale (dispositifs de signalement, contrôle parental etc.). Si certaines dispositions ont fait lobjet dun consensus, dautres sont encore en discussion comme la question des quotas, dont la fixation na pas encore été déterminée (20 ou 25% ?). Le projet de révision prévoit en effet linstauration dun minimum obligatoire doeuvres européennes dans les catalogues des services de médias audiovisuels, un point qui recueille des avis positifs de la part de tous les participants à la tableronde, même si le taux parait un peu faible. La Commission a également introduit dans le texte la possibilité pour les Etatsmembres dimposer une obligation de contribution financière à la production des auvres européennes. Le gouvernement français notamment soutient cette disposition mais les avis divergent sur le sujet et léchec dun accord posera nécessairement des difficultés

Toutefois, le principe du pays ciblé est un point positif que tous les participants saluent. Pour Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture et de la Communication, « Il y a une certaine ambiguïté et un foisonnement des textes qui constituent un vrai défi pour les Etats membres et les professionnels, dans la phase de mise en oeuvre. Mais la proposition dévoilée par la Commission est dans lensemble plus équilibrée. La prise en compte du piratage de la valeur, la question du financement des oeuvres et lapplication des quotas sont des avancées qui marquent une certaine écoute de la part de la Commission. » 

Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint pour le groupe Canal+ partage cet avis. Pour lui, « la prise en compte du value gap par la Commission est une bonne chose, pour réduire les distorsions de concurrence 

avec les grandes plateformes >>

Anthony Level, Directeur des affaires réglementaires numériques chez Tfi fait également ce constat. « Si lasymétrie fiscale reste un vrai problème, le principe du pays ciblé pourrait permettre de recréer des conditions de concurrence relativement équitables sur le fond. Il faut toutefois relativiser, puisquune entreprise qui ne dispose pas détablissement sur le territoire de lUE pourra échapper à cette règle. » 

La proposition de règlement sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne 

Il sagit de consacrer le droit, pour un consommateur, dutiliser son abonnement en ligne à des films ou dautres services audiovisuels, lorsquil se trouve hors de son pays dorigine, par exemple pour un voyage daffaires ou dagrément. A lexception de la notion de « résidence temporaire » qui peut donner lieu à des conflits dinterprétation, le cadre juridique proposé est assez clair. Le Conseil, la Commission et le Parlement sont parvenus à un accord

Mais pour Pascal Rogard, Directeur général de la SACD, la visibilité des oeuvres est une question daccessibilité et non de portabilité : « Les auteurs veulent que leurs oeuvres circulent et soient vues. Il faut que les producteurs acceptent de mettre leurs films sur les plateformes »

Il est clair que léconomie digitale a changé laccessibilité et la façon dont les films sont financés. Le digital permet aux films dêtre accessibles partout. Il y a donc une véritable tendance à la délinéarisation des droits, un phénomène que les chiffres de la catch up tendent à démontrer. Pour Alexandra Lebret qui représente lEPC une association de producteurs indépendants de films, « lévolution de la valeur des droits est en train de changer. La part des revenus glisse de la salle vers lexploitation en ligne des oeuvres après le passage à la TV. La sécurisation des droits dexploitation face aux nouveaux modèles qui se développent comme Netflix est donc un véritable enjeu pour les ayants droit »

Pour autant, le phénomène de la piraterie audiovisuelle est en croissance constante. Mais il nest pas traité dans les différentes propositions de la Commission, à lexception des dispositions sur le régime de responsabilité des plateformes en ligne, souligne Pascal Rogard. Daprès un communiqué de presse diffusé le 23 février, la dernière étude du Cabinet Ernst et Young consacrée au « Piratage en France >> évalue à au moins 265 millions deuros le manque à gagner pour les créateurs et ayants droit. Les sujets de la portabilité et de la territorialité des droits sont connexes. Si la règle de la territorialité des droits actuellement en débat venait à être supprimée, le texte sur la portabilité deviendrait du coup obsolète. Cette menace qui pèse sur la territorialité des droits a notamment été relevée par Anthony Level qui estime que « la territorialité des droits est consubstantielle du modèle économique des chaînes de télévision. On peut réellement sinterroger sur lexistence dun marché européen de l’audiovisuel. Les annonceurs par exemple déploient des stratégies locales. Il y a donc une vraie logique linguistique et culturelle derrière la territorialité des droits »)

Il parait évident que la disparition de la territorialité des droits aurait probablement des conséquences sur le prix des offres aux public, sur lemploi, sur la diversité culturelle et linguistique et sur le préfinancement des créations, comme lindique Christophe Roy, Directeur des affaires européennes et Directeur Juridique Adjoint pour le groupe Canal+. « Nos récentes créations ont été financés grâce à la territorialité des droits et la prévente des droits dans certains Etats membres. Mais il semble que la Commission européenne nappréhende le marché unique numérique que pour le consommateur, sans prendre en compte les enjeux pour les acteurs européens. Elle a une vision centrée sur laccessibilité des contenus partout et à tout moment. » Cette menace a été soulignée par Christophe Roy qui estime quil faut être particulièrement vigilant à cause de la décision qui sera rendue par les autorités européennes de la concurrence dans laffaire Sky UK. Canal+ a déjà présenté un recours dans le cadre ce litige car une décision de principe pourrait aboutir à remettre en cause la territorialité des droits. Pour rappel, la Commission estime que six studios de cinéma américains (Disney, NBCUniversal, Paramount Pictures, Sony, Twentieth Century Fox et Warner Bros) et Sky UK ont convenu sur une base bilatérale dinstaurer des restrictions contractuelles empêchant Sky UK de permettre aux consommateurs de lUE davoir acs, par satellite ou en ligne, à des services de télévision payante disponibles au RoyaumeUni et en Irlande lorsquils ne se trouvent pas dans ces pays. Paramount a dores et déjà pris lengagement de supprimer ces clauses dans ses contrats

La proposition de règlement établissant les règles relatives à l‘exercice du droit dauteur et des droits voisins applicables à certaines transmissions en ligne des organismes de radiodiffusion et à la retransmission des programmes de télévision et de radio 

Pour rappel, la Directive 93/83/CEE du Conseil du 27 septembre 1993 dite « Directive câble & satellite fixe deux régimes distincts en matière dacquisition des droits pour les transmissions par satellite et retransmissions par câble

Pour la radiodiffusion par satellite, la Directive prévoit un droit de communication au public valable sur lensemble du territoire de lUnion européenne. Une seule licence est nécessaire, et elle est octroyée dans le pays dorigine du programme diffusé par satellite (principe du pays dorigine)

La retransmission par câble reste soumise à un système dautorisations par pays, simplifié néanmoins par lapplication d‘un mécanisme de gestion collective obligatoire

Toutefois, ces deux régimes ne sappliquent pas aux transmissions ou retransmissions de contenus audiovisuels en ligne. La procédure lancée en 2016 par la Commission vise donc à étendre le champ dapplication de la directive de 1993, mais les désaccords entre Etats membres sont nombreux. La Commission propose de limiter le nouveau périmètre aux services en ligne dits accessoires et à lIPTV, une limitation que certains parlementaires ne souhaitent pas faire passer. Le Gouvernement français a émis des réserves sur lextension du principe aux services accessoires et espère constituer une minorité de blocage

La proposition de règlement visant à contrer le blocage géographique et dautres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu détablissement des clients dans le marché intérieur 

Depuis le démarrage de la procédure en 2016, plusieurs Commissions ont émis un avis. La dérégulation proposée sera en principe calquée sur le champ dapplication de la directive Services qui ne recouvre pas laudiovisuel. Cest une volonté du Conseil de conserver laudiovisuel hors du champ dapplication. Toutefois, il nest pas exclu que la proposition de règlement soit étendue à dautres services couverts par le droit dauteur, comme le livre ou la musique

La proposition de directive sur le droit dauteur dans le marché unique numérique 

Présenté en 2016, le texte introduirait lobligation pour un fournisseur de service en ligne de surveiller le contenu, même en labsence de contrôle éditorial de sa part sur ce qui se passe sur la plateforme. Larticle 13 introduit une obligation à deux branches. Il sagit dimposer aux plateformes de déployer des mesures visant à assurer leffectivité des accords conclus avec les ayants droit, ou à empêcher laccès à certains contenus identifiés par ces derniers. Se pose par ailleurs la question de lobligation pour le fournisseur qui a un rôle actif de conclure un contrat de licence. Ces propositions visent assurément un objectif vertueux, mais Anthony Level de Tf1 regrette toutefois que leur mise en oeuvre soit entièrement laissée à lappréciation des plateformes. Il considère en effet que « le seul point manquant est labsence dun tiers de confiance >> Pour Alban de Nervaux, Chef du service des affaires juridiques et internationales au Ministère de la Culture : « On peut aussi souligner la consécration du principe du « duty of care » et la clarification du statut des intermédiaires en ligne dont le modèle économique repose sur la mise à disposition des contenus postés par les utilisateurs»