Réforme du droit d’auteur européen : quelles perspectives pour les éditeurs ?

Réunion animée par Me JeanSébastien Mariez et Me Xavier Près, avocats spécialisés en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle, Cabinet De Gaulle Fleurance et Associés 

Actualité du Digital Single Market

Vers un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse ?

Larticulation du dispositif avec la jurisprudence de la CJUE 

Actualité du Digital Single Market 

Les 3 piliers de la stratégie pour un marché unique numérique. Dans la feuille de route présentée en mai 2015, la Commission européenne annonce 16 actions clés relevant de 3 piliers

Améliorer laccès aux biens et services numériques dans toute lEurope pour les consommateurs et les entreprises

Créer un environnement propice au développement des réseaux de services numériques innovants et des conditions de concurrence équitables. Maximiser le potentiel de croissance de léconomie numérique

Les 16 actions clés couvrent 4 principaux volets suivants

le commerce électronique transfrontalier;

les plateformes en ligne;

le géoblocage;

les droits dauteur

Ces actions viennent compléter la proposition de réglement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne (décembre 2015), la proposition de révision de la directive sur les médias et les services audiovisuels (mai 2016). La Commission a également présenté en septembre dernier une proposition de directive sur le droit dauteur dans le marché unique numérique

La proposition de directive sur le droit dauteur dans le marché unique numérique. I Lexception au droit dauteur en faveur du Text & Data Mining (TDM

L‘objectif. La proposition de directive permettra aux chercheurs dans lensemble de lUnion dutiliser plus facilement les technologies de fouille de textes et dexploration de données pour analyser de gros volumes de données. Larticle 3 de la proposition de directive introduit ainsi une exception obligatoire encadrée par plusieurs conditions : cette disposition peut être invoquée par les Instituts de recherche lorsquils disposent de droit daccès licites sur les textes ou autres contenus faisant lobjet des traitements de TDM (alinéa 1er). Lalinéa 2 prévoit que toute disposition contractuelle allant à lencontre de lexception prévue à lalinéa 1 sera réputée nulle de plein droit

La loi pour une République numérique. Lexploration de textes et de données incluses ou associées aux écrits scientifiques pour les besoins de la recherche publique est également prévue à larticle 38 de la loi 20161321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Cette dernière exclut explicitement toute utilisation 

commerciale. La proposition de directive reconnaît, contrairement à la loi pour une République numérique, la possibilité pour les ayants droit de prendre toutes dispositions visant à ce que les traitements de TDM ne perturbent pas la sécurité et lintégrité de leurs réseaux et bases de données (alinéa 3)

I La contribution des services en ligne à la lutte contre le piratage Le périmètre. Larticle 13 est rédigé de telle sorte quil parait sappliquer uniquement aux plateformes de contenus UGC (User Generated Content) comme YouTube ou Dailymotion. Mais il est légitime de se demander si son périmètre inclut également les rubriques vidéo des sites de presse en ligne qui agrègent des contenus UGC

Les obligations. Larticle 13 introduit une obligation à deux branches. Il sagit dimposer aux plateformes de déployer des mesures visant à assurer leffectivité des accords conclus avec les ayants droit, ou à empêcher laccès à certains contenus identifiés par ces derniers

La proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne 

Lobjectif. Il s‘agit de consacrer le droit, pour un consommateur, dutiliser son abonnement en ligne à des films, de la musique ou des livres numériques lorsquil se trouve hors de son pays dorigine, par exemple pour un voyage daffaires ou dagrément

Périmètre. Le champ dapplication se raccroche à la notion de w service de contenu en ligne ». Un tel service est concerné lorsque les conditions suivantes sont réunies

le service est proposé légalement dans lÉtat membre de résidence; le service est proposé sur une base portable; = il sagit dun service de médias audiovisuels au sens de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil ou dun service qui consiste essentiellement en un accès à des oeuvres ou à dautres objets ou en des transmissions par des organismes de radiodiffusion

La proposition de réglement prévoit que le professionnel doit permettre à son abonné temporairement présent dans un autre Etatmembre daccéder au service et de lutiliser. Deux précisions sont apportées par le texte : laccès est temporaire, et les exigences de qualité du service ne sont pas applicables durant cette période

Consulter la proposition de règlement I La proposition de révision de la directive sur les médias et les services audiovisuels 

La jurisprudence « New Media Online ». Pour rappel, dans cette décision rendue le 21/10/2015 la Cour de justice de l’Union Européenne a retenu deux critères pour apprécier la qualification de service de média audiovisuel à la demande (SMAD) à savoir dune part que très peu darticles de presse sont directement liés à la section vidéo et dautre part que le catalogue de vidéos est accessible à linternaute de manière indépendante

Pour les éditeurs en ligne, cette décision signifie que les sites susceptibles dêtre qualifiés de SMAD sont tous ceux qui offrent un catalogue de vidéos accessibles en ligne sans lien particulier avec le contenu rédactionnel proposé sur le site

Lorsque le site, ou une partie, est qualifié de SMAD, celuici tombe sous le contrôle du CSA. Léditeur sera tenu de

Faire une déclaration de SMAD auprès du CSA; Respecter plusieurs obligations en matière de déontologie, de protection des mineurs, de promotion des oeuvres, de communications commerciales et de production des oeuvres

La proposition de révision de la directive 2010/13/UE Services de médias audiovisuels (SMA). La Commission a dévoilé en mai dernier une proposition de révision visant notamment à instaurer un meilleur équilibre des règles qui sappliquent aujourdhui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle, aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos, notamment lorsquil sagit de protéger le jeune public. Larticle 1er de la proposition de révision de la directive SMA énonce une définition de la notion de « videosharing platform service » ou « service de plateforme de partage de vidéos ». Il sagit dun service qui satisfait aux exigences suivantes

=le service consiste à stocker une grande quantité de programmes ou de vidéos créées par les utilisateurs, qui ne relèvent pas de la responsabilité éditoriale du fournisseur de la plateforme de partage de vidéos

Lorganisation du contenu stocké est déterminée par l’éditeur, en particulier lhébergement, laffichage, le balisage et le séquencement; lobjet principal du service proprement dit ou dune partie dissociable de ce service est la fourniture de programmes et de vidéos créées par les utilisateurs dans le but dinformer, de divertir ou déduquer le grand public; le service est fourni par des réseaux de communications électroniques au sens de larticle 2, point a), de la directive 2002/21/CE

Seront à la charge des services de plateforme de partage de vidéos un certain nombre dobligations ayant trait à la lutte contre les contenus violents et les messages dincitation à la haine raciale (dispositifs de signalement, contrôle parental etc.

Consulter la proposition de révision de la directive SM

Consulter les positions du CSA et de lERGA Vers un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse

La création dune nouvelle catégorie de titulaires de droit. Si un droit voisin venait à être reconnu aux éditeurs de presse, cette consécration donnerait naissance à une nouvelle catégorie de titulaires de droit dans le domaine de la création. A date, il est possible de ranger les titulaires de droit voisin dans deux catégories. Les artistesinterprètes, qui composent la première catégorie, ont pour point commun que leurs droits sont reconnus en contrepartie de lexécution de la création. Les investisseurs culturels, comme les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, les entreprises de communication audiovisuelle, les producteurs de bases de données relèvent quant à eux de la seconde catégorie. Leurs droits sont reconnus à raison des investissements alisés. En cas de reconnaissance dun droit voisin pour les éditeurs de presse, ces derniers rejoindraient la seconde catégorie. En effet, la justification principale de la reconnaissance dun droit voisin au profit des éditeurs de presse est économique. Les éditeurs de presse sont à lorigine dinvestissements, mais ils ne sont pas toujours être associés aux fruits des exploitations qui en sont faites. Ils font lobjet dune captation par de nouvelles pratiques sur Internet, notamment celles des robots dindexation (web crawlers) qui collectent automatiquement et massivement des ressources/contenus pour ensuite les structurer sous forme de panorama de presse et de les diffuser. La Commission européenne justifie la création dun droit voisin au profit des éditeurs de presse par une double nécessité

dune part, mieux négocier l’utilisation de leurs contenus avec les services en ligne qui les utilisent ou en permettent laccès, et dautre part, mieux se défendre et lutter contre le piratage

Une étude du Cabinet Kurt Salmon évalue à 163 M€ le marché des ventes de panorama de presse et au sein de ce marché 31 M€ le sous marché des crawlers sur lesquels les éditeurs de presse ne perçoivent aucune rémunération

Le texte de la directive. La consécration dun droit voisin au profit des éditeurs de presse figure à l’article 11 de la proposition de directive sur le droit dauteur dans le marché numérique dévoilée le 14/09. Il sagit de moderniser le cadre juridique actuel, et plus précisément la directive sur lharmonisation du droit dauteur et des droits voisins dans la société de linformation qui date de 2001. Cette évolution est rendue nécessaire car les technologies numériques ont rapidement fait évoluer la manière de produire, de diffuser et daccéder au contenu créatif. Le texte de la directive propose une définition de léditeur de presse, titulaire des droits voisins. Daprès l’article 2, la « publication de presse » (désigne) la fixation dune collection doeuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre dautres cuvres ou objets et constitue une unité au sein dune publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, telle quun journal ou un magazine généraliste ou spécialisé, dans le but de fournir des informations sur lactualité ou dautres sujets publiées sur tout support à linitiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle dun prestataire de services »). La presse est donc le secteur concerné par ce nouveau droit voisin. La définition est indépendante du support, mais les droits sont strictement limités aux usages numériques, comme le précise lintitulé de larticle 11

Le régime juridique du nouveau droit voisin des éditeurs de presse. Les 4 alinéas de larticle 11 apportent quelques précisions sur le régime juridique tel quil est envisagé dans la proposition de directive

le 1er alinéa précise que les éditeurs de presse sont titulaires dun monopole dexploitation similaire à celui des autres titulaires de droits. Ils sont titulaires du droit de reproduction et du droit de communication au public

= Le 2e alinéa indique que ce monopole dexploitation doit cohabiter avec le droit dauteur et les autres droits voisins. Il ne doit pas empiéter sur le droit dauteur. Il sagit de la consécration du principe de précellence du droit dauteur reconnue par les textes internationaux, la législation de lUE et la règlementation française

Le 3e alinéa rappelle que ce monopole dexploitation est soumis aux mêmes limites et exceptions que celles que les Etats membres ont la faculté de prévoir dans leurs législations nationales pour les autres titulaires de droits. Les éditeurs de presse bénéficient du même régime de protection des mesures techniques et information sur le régime des droits dont néficient les titulaires de droits. Les mêmes sanctions et des voies de recours prévues par les États membres aux titulaires de droits sappliquent en cas de nonrespect du monopole dexploitation. Les éditeurs de presse pourront donc agir sur le terrain de la contrefaçon

Le 4e alinéa précise que le monopole dexploitation des éditeurs de presse est accordé pour une durée de 20 ans, plus courte que la durée des droits patrimoniaux des auteurs (70 ans), des artistesinterprètes (50 ans, sauf fixation dans un phonogramme: 70 ans), des producteurs de phono/vidéogrammes (70/50 ans). Elle est en revanche plus longue que celle du droit sui generis du producteur de bases de données (15 ans, mais avec nouveau délai si investissement substantiel)

Lavenir du nouveau dispositif. Afin de nourrir la position française dans le cadre de la consultation publique organisée par la Commission européenne, le Ministère de la Culture et de la Communication a commandé auprès du CSPLA un rapport sur le droit voisin. La mission a été confiée à Laurence Franceschini, ancienne Directrice de la DGMIC. Cette dernière a livré des conclusions assez proches du régime proposé dans la proposition de directive européenne, tant dans la définition des titulaires de droits que dans les prérogatives et les voies de recours qui leurs sont reconnues. L’auteur du rapport constate également une captation de la valeur par des tiers et réaffirme le principe de précellence du droit dauteur. Le rapport préconise en revanche une durée du monopole plus courte (5 / 15 ans), et laisse en suspens le cas des archives de presse. La publication de la proposition de directive a suscité de nombreuses réactions, notamment des auteurs et journalistes qui ont exprimé leur opposition (SNJ, les sociétés de gestion collective représentant les auteurs: SCAM, ADAGP, SAIF, etc.). La question de la reconnaissance dun droit voisin en faveur des éditeurs de presse dépendra de lefficacité des dispositifs existants. Une palette de solutions juridiques existent à date (parasitisme, concurrence déloyale, droit des marques, droit sui generis du producteur de bases de données, infraction dun STAD). Pour justifier le prononcé dune condamnation suffisamment dissuasive, le demandeur doit toutefois rapporter la preuve des investissements réalisés. Il conviendra de vérifier que la consécration dun droit voisin en faveur des éditeurs de presse nentraine pas une renégociation des accords. Le risque existe

Consulter le rapport de Laurence Franceschini Larticulation du dispositif avec la jurisprudence de la CJUE 

Jurisprudence relative à la notion dacte de reproduction (article 2 de la directive 2011/29/CE). L’arrêt Meltwater de la CJUE en date du 05/06/2014 traite plus particulièrement de la question de l’application de lexception propre aux actes de reproduction provisoire dans le cadre dun « service de suivi des média ». La CJUE a jugé que ces actes ne sont pas soumis à autorisation car ils entrent dans le champ de lexception de reproduction provisoire. Jurisprudence relative à la notion dacte de communication au public (article 23 de la directive 2011/29/CE). Les arrêts Svensson (13/02/2014), Best Water (21/10/2014) et GS Media (08/09/2016) abordent la question de la définition et des limites des actes de 

communication au public. La question de la mise en place dun droit voisin pour les éditeurs de presse est étroitement liée à la qualification dacte de communication au public. Dans laffaire Svensson, la CJUE a répondu à la question de savoir si le fait pour toute personne autre que le titulaire du droit dauteur sur une ceuvre de fournir un lien cliquable vers cette oeuvre sur un site Internet constitue une communication de loeuvre au public selon larticle 3, paragraphe 1 de la directive 2001/29 ? Il est important de retenir que les articles de presse avaient été mis à disposition du public avec lautorisation des titulaires de droit. La CJUE considère quil sagit dun acte de communication au sens de larticle 3 de la directive 2011/29/CE, mais elle estime que le public nest pas nouveau. Les internautes constituent une sorte de public universel selon lanalyse de la Cour. Autrement dit, le propriétaire du site tiers peut sans lautorisation des titulaires des droits dauteur renvoyer, via des hyperliens, aux articles disponibles en accès libre sur le site de presse en ligne. Certains auteurs ont parlé dune forme d« épuisement du droit >> Dans laffaire GS Media, CJUE a répondu à la question de savoir si le fait, pour une personne autre que le titulaire du droit dauteur, de renvoyer, en plaçant un lien hypertexte sur un site Internet quelle exploite, à un autre site Internet exploité par un tiers accessible à lensemble des internautes sur lequel l’auvre est mise à la disposition du public sans lautorisation du titulaire du droit dauteur est une « communication au public, au sens de larticle 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 7 Contrairement à laffaire Svensson, dans larrêt GS Media, le contenu a été mis à disposition du public sans autorisation du titulaire des droits. La CJUE en arrive pourtant à la même conclusion. Elle estime quil ny a pas communication au public car loeuvre est librement accessible, mais elle précise quil faut tenir compte de deux exceptions. La première repose sur le critère de la connaissance du caractère illicite du contenu. Cette connaissance est présumée lorsque le site qui pose lhyperlien donnant accès au contenu poursuit un but lucratif. Il y aurait donc une obligation renforcée à la charge des sites qui dégagent des revenus de leur activité en ligne. La 2e exception repose sur le critère de la restriction daccès au contenu. Si au départ le contenu en cause était protégé par des mesures techniques de protection et que lhyperlien permet de contourner le dispositif, alors on est en présence dun acte de communication au public. Synthèse de la définition issue de la jurisprudence de la CJUE. La notion de communication au public est une notion autonome du droit de lUnion. Dans son analyse, la CJUE procède à une appréciation in concreto, individualisée. Un tel raisonnement a été critiqué par certains auteurs, notamment le Professeur Pierre Sirinelli dans son rapport sur le droit de communication au public. Ce rapport remis au CSPLA en novembre dernier au recommande un retour aux sources de la notion de droit de communication au public en sappuyant sur les traités internationaux comme la Convention de Bernes dont il ressort une acception plutôt stricte de la notion de communication au public. En substance, il ressort de la jurisprudence de la Cour 4 conditions, dont 2 ajoutées par la Cour

un acte de communication dune oeuvre ou dun objet protégé; et un «public> auquel est communiqué loeuvre ou lobjet protégé; un public «nouveau» ou un mode technique spécifique ; un caractère «lucratif (issu de la jurisprudence GS Media)

Il résulte de cette analyse que lorsquun site presse en ligne met à disposition en libre accès des articles, des vidéos, des photos, il devient alors compliqué de limiter ensuite une exploitation ultérieure par le jeu de lépuisement des droits. La CJUE se laisse une marge dappréciation pour apprécier au cas par cas, favorisant parfois certains critères plutôt que dautres. Il y a un prisme qui est davantage pro consommateur que proprestataire dInternet. Il y a une recherche déquilibre visàvis des droits des tiers, parfois au détriment des intérêts des titulaires de droits. Lexercice du droit voisin sera complexe sil vient à être concrétisé, sauf éventuelle évolution de la jurisprudence de la CJUE. Sa mise en oeuvre ne sera pas nécessairement plus aisée quaujourd‘hui, lorsquun professionnel agit sur le fondement du parasitisme. Il est peu probable que la CJUE remette en cause ce quelle a jugé en droit dauteur en matière de droit voisins